15

 

 

 

Des surfaces de verre noir, des murs nus, des angles, des blocs, des masses de ciment sombre : la négation de toute forme organique. Cette architecture remplissait Reith d’étonnement ; elle était d’une abstraction et d’une sévérité extraordinaires. Les prisonniers furent parqués dans un cul-de-sac que de noires murailles fermaient sur trois côtés.

— Halte ! ordonnèrent les Hommes-Wankh. Ne bougez pas !

Les captifs n’avaient pas le choix : ils s’immobilisèrent.

— Vous vous abreuverez à ce robinet. Vous évacuerez vos déjections dans cette auge. Ne faites pas de bruit et ne créez pas de désordre.

Les Hommes-Wankh s’éloignèrent.

— Ils ne nous ont même pas fouillés ! s’exclama Reith avec stupéfaction. J’ai encore mes armes.

— La poterne n’est pas loin, fit Traz. Il n’y a pas de raison d’attendre qu’ils reviennent pour nous exécuter.

— Jamais nous n’y parviendrons, soupira Zarfo.

— Alors, il faut rester là, docilement, comme du bétail ?

— C’est bien mon intention, lança Belje en jetant un coup d’œil mauvais à Reith. Je ne reverrai jamais plus Smargash, mais j’aurai peut-être quand même la vie sauve.

Zorofim éclata d’un rire brusque.

— En allant travailler aux mines ?

— Les mines, je ne les connais que par ouï-dire.

— Ceux qui y vont n’en reviennent jamais. Les Pnume et les Pnumekin leur tendent des embuscades et les molestent de façon terrible. Si on ne nous liquide pas d’emblée, nous serons condamnés aux mines.

— Voilà où mènent la cupidité et la déraison ! se lamenta Belje. Tu es responsable de notre sort, Adam Reith !

— Tais-toi, poltron ! jeta Zarfo sans élever le ton. Personne ne t’a obligé à venir. C’est aussi de ta faute. Nous devrions nous excuser auprès de Reith. Il a eu confiance en notre savoir et nous avons fait preuve d’incompétence.

— Chacun d’entre nous a fait de son mieux, rétorqua le Terrien. L’opération était risquée. Nous avons échoué, voilà tout. Quant à une tentative d’évasion… Je n’arrive pas à croire qu’ils nous laisseront sans surveillance, libres d’aller et de venir où nous voulons.

Jag Jaganig eut un petit reniflement triste.

— N’en soyez pas si sûr. Pour les Hommes-Wankh, nous sommes du bétail.

Reith se tourna vers Traz dont la sagacité le médusait parfois.

— Serais-tu capable de retrouver le chemin de la poterne ?

— Je ne sais pas. Nous n’avons pas suivi une route directe. Il y a eu beaucoup de tours et de détours. Et tous ces édifices me désorientent.

— Alors, mieux vaut rester où nous sommes. Il demeure une petite chance : peut-être parviendrons-nous à sortir de ce pétrin à force d’argumenter.

La journée s’acheva et la nuit tomba. Une nuit interminable. Az et Braz faisaient naître des formes et des ombres fantastiques. Le jour se leva, glacial. Les prisonniers étaient ankylosés, ils avaient faim et étaient d’humeur morose. L’indifférence de leurs geôliers ne faisait qu’accroître leur nervosité ; les plus timides des Lokhars eux-mêmes jetaient des coups d’œil hors de l’impasse et s’interrogeaient sur l’emplacement de la poterne qui s’ouvrait dans le rempart de verre noir. Reith persévérait à prêcher la patience à ses compagnons :

— Nous n’y arriverons jamais. Pour moi, il n’y a qu’un seul espoir : que les Wankh décident de faire preuve de clémence.

— Pourquoi se montreraient-ils indulgents ? ricana Thadzeï. Ils ont une justice expéditive. Exactement comme nous envers les bêtes nuisibles.

Jag Jaganig n’était pas moins pessimiste :

— Jamais nous ne serons mis en présence des Wankh. S’ils se servent des Hommes-Wankh, c’est uniquement pour assurer la liaison entre eux et le reste de Tschaï.

— Nous verrons bien, fut la réponse de Reith.

Les heures passèrent. Les Lokhars, apathiques, étaient prostrés, le dos au mur. Traz, comme d’habitude, conservait sa sérénité et, en l’observant, Reith ne pouvait s’empêcher de se demander où il puisait une pareille force morale. Etait-ce un trait de caractère inné ? Du fatalisme ? Ou bien la personnalité d’Onmale, l’emblème qu’il avait si longtemps arboré, avait-elle à jamais gravé son empreinte dans l’âme du jeune homme ?

Mais d’autres problèmes se posaient avec plus d’urgence.

— Cette attente n’est sûrement pas fortuite, dit à Anacho le Terrien que rongeait l’inquiétude. Elle doit avoir une raison d’être. Cherchent-ils à nous démoraliser ?

L’Homme-Dirdir, qui était aussi maussade que les autres, répondit :

— Il existe de meilleures méthodes.

— Est-ce qu’ils attendent un fait nouveau ? Lequel ?

Anacho demeura muet devant cette question.

Dans l’après-midi, trois Hommes-Wankh apparurent. L’un d’eux, qui portait des jambières d’argent et un médaillon accroché par une chaîne du cou, semblait être un personnage important. Il considéra les captifs en haussant les sourcils d’un air à la fois désapprobateur et amusé, comme s’il avait affaire à de mauvais garnements.

— Lequel d’entre vous est le chef ? demanda-t-il d’une voix autoritaire.

Reith s’avança, s’efforçant d’avoir l’allure la plus digne possible.

— C’est moi.

— Toi ? Ce n’est pas un Lokhar ? Qu’espérais-tu accomplir ?

— Puis-je demander qui est compétent pour juger notre délit ?

La question prit l’Homme-Wankh au dépourvu.

— Qu’est-ce qu’il y a à juger ? La seule question qui se pose, et elle est mineure, c’est de connaître votre motivation.

— Je ne saurais te suivre sur ce terrain, rétorqua Reith sur un ton mesuré. Nous ne sommes coupables que d’un simple vol. Ce n’est qu’accidentellement que nous avons enlevé un Wankh.

— Un Wankh ! Sais-tu qui est ce Wankh ? Non, bien sûr ! C’est un savant du niveau le plus élevé, un Maître Originel.

— Et il veut savoir pourquoi nous nous sommes emparés de son astronef ?

— Quoi ? Cela ne te regarde pas. Il te suffit de me communiquer l’information. C’est ma fonction.

— Je serais enchanté de le faire en la présence du Wankh et, j’espère, dans un lieu plus approprié que cette impasse.

— Zff ! Quelle effronterie ! Réponds-tu au nom d’Adam Reith ?

— Je suis effectivement Adam Reith.

— Et tu as récemment visité Settra, au pays de Cath, où tu as rejoint la secte dite des « Ardents Attentistes » ?

— Tes renseignements sont inexacts.

— C’est possible, mais nous voulons savoir pour quelle raison tu as volé un astronef.

— Tu n’auras qu’à assister à mon entrevue avec le Maître Originel. C’est une affaire compliquée et je suis convaincu qu’il aura à me poser des questions auxquelles on ne peut répondre à la légère.

L’Homme-Wankh tourna les talons d’un air écœuré.

— C’est vrai, tu ne manques pas de toupet ! murmura Zarfo. Mais quel intérêt auras-tu à discuter avec le Wankh ?

— Je n’en sais rien, mais cela vaut la peine d’essayer. J’ai le sentiment que les Hommes-Wankh ne leur transmettent que ce qu’ils veulent bien.

— Ce n’est un secret pour personne, sauf pour les Wankh.

— Comment est-ce possible ? C’est de la naïveté de leur part ? Ou du détachement ?

— Ni l’un ni l’autre. Ils n’ont pas d’autres sources d’information et les Hommes-Wankh s’arrangent pour que la situation ne se modifie pas. Les Wankh s’intéressent peu aux affaires de Tschaï. Ils sont simplement là pour contrer la menace Dirdir.

— Bah ! fit Anacho. Cette « menace Dirdir » est un mythe. Il y a des millénaires que les Expansionnistes ont disparu.

— Alors, pourquoi les Wankh ont-ils toujours peur des Dirdir ? demanda Zarfo.

— Parce que les deux races se méfient mutuellement l’une de l’autre. Quelle autre raison pourrait-il y avoir ?

— Une antipathie naturelle. Les Dirdir sont un peuple intolérable.

Anacho, vexé, s’écarta du groupe et Zarfo s’esclaffa tandis que Reith hochait désapprobativement la tête.

— Je vais te donner un conseil, Adam Reith, reprit le Lokhar. N’indispose pas les Hommes-Wankh car tu auras besoin d’eux pour t’en sortir. Insinue-toi dans leurs bonnes grâces, aplatis-toi devant eux et courbe l’échine – tu auras ainsi au moins l’assurance qu’ils ne te chercheront pas noise.

— Je ne suis pas assez fier pour refuser de m’abaisser si cela pouvait servir à quelque chose, mais je n’y compte pas. Notre seul espoir est de forcer la chance et il m’est venu une ou deux idées qui pourraient bien nous faciliter les choses pour peu que je puisse avoir une conversation avec le Wankh.

— Ce n’est pas de cette manière que tu triompheras des Hommes-Wankh, soupira Zarfo. Ils ne diront au Wankh que ce qui leur convient et tu ne t’en rendras même pas compte.

— Ce que je voudrais, c’est créer une situation où seule la vérité serait valable et où tout le reste apparaîtrait immédiatement comme un mensonge.

Zarfo secoua la tête d’un air abasourdi et alla boire au robinet. Il y avait près de deux jours que personne n’avait mangé, songea Reith : rien d’étonnant à ce que ses compagnons fussent apathiques et irascibles.

Arrivèrent trois Hommes-Wankh. Le dignitaire de tout à l’heure n’était pas parmi eux.

— Venez ! Mettez-vous en ordre ! Formez les rangs !

— Où allons-nous ? voulut savoir Reith.

Mais il n’obtint pas de réponse.

Les prisonniers suivirent des rues étrangement sinueuses, traversèrent des cours irrégulières hérissées d’angles tantôt aigus et tantôt obtus. De temps en temps, il y avait des saillants inattendus et, parfois, des échappées ; le regard plongeait alors sur des ombres épaisses, Ou bien on distinguait l’éclat évanescent de 4269 de La Carène. Après avoir marché cinq minutes, ils pénétrèrent dans une tour et on les poussa dans un ascenseur. Trente mètres plus haut, ils émergèrent dans une vaste salle octogonale.

La pénombre y régnait. Au plafond était suspendue une espèce de volumineuse lentille remplie d’eau qu’un ventilateur brassait, et le liquide en mouvement faisait vibrer la lumière qui frémissait sur les murs. On percevait des sonorités tremblantes, à peine audibles, des arpèges soupirants, des dissonances complexes qui n’avaient qu’un rapport lointain avec la musique. Les murs étaient maculés et décolorés, ce que Reith trouva bizarre jusqu’au moment où, les regardant plus attentivement, il constata que chacun était un immense idéogramme Wankh fourmillant de détails. Chaque idéogramme, songea-t-il, représentait une harmonique et chaque harmonique était l’équivalent sonore d’une image visuelle. Quel art hautement abstrait !

La salle était vide et le groupe attendit en silence tandis que les accords intangibles effleuraient leur conscience et que les reflets ambrés du soleil, réfractés et morcelés, ruisselaient à l’entour. Soudain, événement d’une rareté insigne ! Traz eut un hoquet de surprise et Reith se retourna. L’adolescent montrait quelque chose du doigt.

— Regarde là-bas !

Debout au creux d’une niche se trouvait Helsse, la tête penchée comme s’il était plongé dans une profonde rêverie. Il était dans un étrange appareil. Il portait le noir costume des Hommes-Wankh et ses cheveux étaient coupés ras. Il ne ressemblait en rien au suave éphèbe dont Reith avait fait la connaissance au Palais du Jade Bleu.

Le Terrien dévisagea Zarfo.

— Tu m’as dit qu’il était mort !

— Parce que je le croyais ! Nous l’avons déposé dans la chambre aux cadavres et, le lendemain matin, il n’y était plus. Nous avons pensé qu’il avait reçu la visite des molosses de la nuit.

— Helsse ! appela Reith. Par ici ! C’est Adam Reith !

Helsse tourna la tête et, devant son regard, le Terrien se demanda comment il avait bien pu le prendre pour autre chose qu’un Homme-Wankh. L’ancien aide de camp de Cizante s’avança à pas lents, un vague sourire aux lèvres.

— Et voici le triste dénouement de vos exploits, dit-il.

— La situation n’est pas encourageante, reconnut Reith. Pouvez-vous nous aider ?

Helsse haussa les sourcils.

— Pourquoi vous aiderais-je ? Je vous trouve personnellement déplaisant, dépourvu d’humilité et d’élégance. Vous m’avez infligé mille affronts. Votre sympathie pour le « culte » est scandaleuse. Et le fait d’avoir volé un vaisseau spatial avec un Originel à bord suffit à rendre votre requête absurde.

Reith l’étudia quelques secondes.

— Puis-je vous demander pourquoi vous êtes ici ?

— Bien sûr. C’est afin de fournir à qui de droit des informations sur votre compte et sur vos activités.

Le Terrien médita la réponse.

— Sommes-nous donc tellement importants ?

— Apparemment, répondit Helsse avec indifférence.

Quatre Wankh entrèrent, silhouettes massives et noires, et s’alignèrent devant le mur du fond. Helsse se redressa et les Hommes-Wankh se turent. Il était évident que, quelle que fût leur attitude à l’endroit des Wankh, ils avaient un profond respect pour ces créatures.

On fit avancer les prisonniers. Une minute s’écoula sans que rien ne se produisît. Puis les Wankh échangèrent des harmoniques – des sonorités étouffées et frêles se succédant à une demi-seconde d’intervalle et qui étaient apparemment incompréhensibles pour les Hommes-Wankh. Il y eut encore une pause. Enfin, les Wankh émirent à l’intention des Hommes-Wankh de rapides accords sur trois notes semblables aux trilles d’un xylophone et qui semblaient être un langage simplifié ou élémentaire.

Le plus vieux des Hommes-Wankh fit un pas en avant, écouta et se tourna vers les prisonniers :

— Lequel d’entre vous est le chef des pirates ?

— Aucun d’entre nous. Nous ne sommes pas des pirates, répondit Reith.

Un Wankh lança quelques harmoniques interrogatrices et Adam Reith crut reconnaître en lui le Maître Originel. L’Homme-Wankh, visiblement réticent, sortit un petit instrument muni de touches qu’il se mit à manipuler avec une stupéfiante dextérité.

— Dis-lui que nous regrettons les ennuis que nous lui avons causés, reprit le Terrien. Ce sont les circonstances qui nous ont obligés à le kidnapper.

— Tu n’es pas ici pour discuter mais pour fournir des renseignements. Après, les choses se passeront selon le processus habituel.

Le Maître émit de nouvelles harmoniques auxquelles l’Homme-Wankh répondit.

— Qu’est-ce qu’il dit ? voulut savoir Reith. Et qu’est-ce que tu lui as dit ?

— Tu ne dois parler que lorsqu’on t’interroge.

Ce fut au tour d’Helsse de jouer longuement sur son propre clavier. Reith commençait à s’inquiéter et la frustration le gagnait. Le contrôle de la situation lui échappait.

— Qu’est-ce que Helsse est en train de dire ?

— Silence !

— Informe au moins les Wankh que nous avons des explications à présenter.

— Si une déposition s’avère nécessaire, on te le fera savoir. La confrontation est presque terminée.

— Mais l’occasion de parler ne nous a pas été donnée !

— Silence ! Ton insistance est outrageante !

Reith se tourna vers Zarfo :

— Dis quelque chose au Wankh. N’importe quoi !

Le Lokhar gonfla ses joues et, tendant le doigt vers les Hommes-Wankh, il émit à son tour des sortes de gazouillements.

— Tais-toi ! lui ordonna sévèrement l’interprète. Tu n’as pas à interrompre.

— Que lui as-tu dit ? s’enquit Reith.

— J’ai crié : « faux, faux, faux ! » C’est tout ce que je sais dire.

Le Maître pépia en désignant Reith et Zarfo et l’Homme-Wankh, visiblement exaspéré, traduisit :

— Le Wankh veut savoir où vous avez comploté vos actes de piraterie ou, plutôt, où vous avez décidé de vous emparer du vaisseau de l’espace.

Reith protesta :

— Tu ne traduis pas correctement. Lui as-tu précisé que nous ne sommes pas des pirates ?

Zarfo réitéra les gazouillis signifiant « faux, faux, faux. »

— Il est visible que vous êtes des pirates ou des fous, répliqua l’Homme-Wankh qui, faisant de nouveau face au Maître, tapota sur son clavier.

Reith, persuadé qu’il déformait ses propos, s’adressa à Helsse :

— Qu’est-ce qu’il raconte ? Que nous ne sommes pas des pirates ?

Helsse parut ne pas avoir entendu.

C’est alors que, à la stupéfaction de tout le monde, Zarfo éclata d’un gros rire. Il se pencha vers Reith et lui dit à l’oreille :

— Tu te souviens du rebouteux dugbo ? Pince-lui le nez !

— Helsse ! appela le Terrien.

L’interpellé lui décocha un regard glacial. Reith s’approcha de lui et lui tordit le nez. Helsse devint rigide.

— Dis au Wankh que je suis un homme de la Terre, berceau de la race humaine, et que c’est seulement pour regagner mon monde d’origine que j’ai volé l’astronef.

Helsse, en transe, tapota une série de trilles sur son instrument, ce qui sema aussitôt le trouble parmi les Hommes-Wankh, preuve que sa traduction était fidèle. Ses congénères commencèrent à protester, à se bousculer en essayant de noyer le discours d’Helsse sous leurs propres accords. Mais le Maître les réduisit au silence d’un trille qui sonnait comme un bourdon.

Enfin, Helsse s’arrêta.

— Dis-lui encore, ordonna Reith, que les Hommes-Wankh ont dénaturé mes paroles et qu’ils les falsifient délibérément afin de sauvegarder leurs propres intérêts.

Helsse pianota de nouveau sur son clavier. De nouveau, les Hommes-Wankh s’insurgèrent à grand bruit mais ils furent, cette fois encore, remis à la raison.

Reith s’animait de plus en plus. À présent, se jetant témérairement dans l’inconnu, il n’hésita pas à quitter le domaine du positif pour celui de la conjecture :

— Dis aux Wankh que les Hommes-Wankh ont détruit mon astronef et que je suis le seul survivant de l’équipage. Dis-leur que notre mission n’avait rien d’hostile, que nous étions venus enquêter sur des signaux radio émis il y a cent cinquante ans – je parle en années de Tschaï. À cette époque, les Hommes-Wankh ont bombardé les villes de Settra et de Ballisidre qui avaient lancé ces messages. L’opération s’est soldée par de lourdes pertes en vies humaines. Et cela, pour la même raison : pour empêcher que s’instaure une situation nouvelle qui eût risqué de rompre l’état d’équilibre existant entre les Wankh et les Dirdir.

Les clameurs des Hommes-Wankh suffirent à convaincre Reith que ses accusations avaient porté. Comme précédemment, ils furent réduits au silence. Helsse continua de taper sur les touches de l’air d’un homme qui n’en revient pas de se surprendre à faire ce qu’il est en train de faire.

— Dis-leur que les Hommes-Wankh se sont systématiquement employés à déformer la vérité. Ils ont prolongé la guerre contre les Dirdir. C’est clair : si le conflit avait pris fin, les Wankh seraient retournés chez eux et les Hommes-Wankh auraient alors dû ne compter que sur eux-mêmes.

Helsse, livide, se débattait pour laisser choir son instrument mais ses doigts refusaient de lui obéir. Il continua de jouer. Les autres Hommes-Wankh, immobiles, observaient maintenant un silence de mort. C’était là l’accusation la plus révélatrice. Leur porte-parole hurla :

— L’entrevue est terminée ! Prisonniers, formez les rangs ! En avant, marche !

— Demande aux Wankh de leur donner l’ordre de s’en aller pour que nous puissions nous entretenir sans nous faire interrompre, dit Reith à Helsse.

Les traits de ce dernier se convulsèrent. Son front dégoulinait de sueur.

— Traduis mon message !

Helsse obtempéra.

C’était de nouveau le silence. Les Hommes-Wankh contemplaient les Wankh avec appréhension.

Le Maître émit deux harmoniques.

Les Hommes-Wankh tinrent conciliabule à voix basse et ces palabres aboutirent à une décision drastique : ils sortirent leurs fusants et les braquèrent non point sur les captifs, mais sur les quatre Wankh. Reith et Traz se jetèrent sur eux, imités par les Lokhars, et les désarmèrent.

Le Maître lança deux arpèges mesures. Helsse écouta et, lentement, il se tourna vers Reith.

— Il ordonne que tu me remettes l’arme que tu détiens.

Reith lui tendit son pistolet. Helsse le pointa sur les trois Hommes-Wankh et appuya sur le bouton.

Ses congénères, la tête éclatée, s’écroulèrent, morts.

Les Wankh, silencieux, jaugèrent la situation, puis quittèrent la salle, abandonnant à eux-mêmes les ex prisonniers, Helsse et les trois cadavres. Le Terrien arracha le pistolet qu’Helsse étreignait dans ses doigts glacés avant que l’Homme-Wankh eût songé à tirer de nouveau.

Le crépuscule tombait et la pénombre s’épaississait. Reith scruta Helsse, se demandant combien de temps persisterait son état d’hypnose.

— Conduis-nous hors de la ville, lui ordonna-t-il.

— Venez.

Il pilota le groupe à travers la cité noire et grise jusqu’à une petite porte d’acier. Là, il manœuvra un loquet et la porte s’ouvrit. Une arête rocheuse reliait la ville à l’arrière-pays. Les fugitifs se retrouvèrent à l’air libre. Reith se tourna vers Helsse.

— Je vais te toucher l’épaule. Dix minutes plus tard, tu recouvreras ton état normal. Tu ne te rappelleras rien de ce qui s’est passé au cours de l’heure précédente. As-tu compris ?

— Oui.

Le Terrien posa la main sur l’épaule d’Helsse et le groupe s’enfonça précipitamment dans le paysage crépusculaire. Le Terrien se retourna avant de passer derrière un pan de rocher qui ferait écran. Helsse était immobile, là où il l’avait laissé, et il contemplait le groupe d’un air vaguement nostalgique.

Le Wankh
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